Crash Course, Lisa Liebmann

Text By Lisa Liebmann for Open House, Musée de Grenoble, 2009

 

 

Duncan Wylie: Crash Course

When I first saw Duncan Wylie’s work, via email attachment, I thought I was looking at images of small, representational paintings with smooth, hyperrealist surfaces that devolved, here and there, into passages of “painterly” abstraction. I took what I understood to be their demure scale, and their seeming air of detachment, to be strategic choices, there to underscore the extreme, indeed cataclysmic violence of the subjects depicted: buildings and other architectural structures, in various urban and non-urban contexts, imploding, exploding, collapsing, slipping, sliding, being blown or swept away by invisible forces, torn apart or cleared by mechanical diggers, or standing in ruins. Although unpopulated, these were – inescapably – scenes of war and natural disaster: Beirut, Gaza, Katrina, “tsunami”...they suggested a contemporary roll call of newly branded names for hell on earth.

A brief roll call of brand-names out of contemporary art came to mind, as well–a list that included such masters of the deceptively dispassionate gaze as the Belgian painter Luc Tuymans, and Gerhard Richter, the epochal German, whose pictorial disquisitions on reality and abstraction in art have pretty well levelled those fields. I also noted that Duncan Wylie had been the recipient of several painting prizes here in France: I got a little worried. A lot of heavy artillery, thematic as well as institutional, was stacking up: Would this work, seen first hand, not prove to be too ambitious, too cool, and perhaps, trop sage

When I finally went to visit Wylie some weeks later in his studio, all my assumptions were turned upside down. To begin with, there were the highly specific givens of where he lived and worked – in Saint-Ouen. There, Wylie occupies two separate, nearly identical, bi-level studio apartments in a recent development that had once been engineered by Gustave Eiffel. And a large section of Eiffel’s signature raw-metal infrastructure slices violently through each of Wylie’s two small spaces, much the way a mechanical shovel seems to violate space and threaten buildings in Wylie’s Gaza 1 or Afterparty, two of the earliest paintings included in this exhibition, made soon after the artist moved to his current address.

This telling coincidence, however, would not occur to me until some time later. The canvases on view in Wylie’s studio during my visit initially made little sense to me. Not only were they decidedly large, they were also decidedly unfinished, and seemed in their inchoate states to bear no relationship to the works whose images I had scrutinized onscreen. Each of these paintings in progress consisted entirely of broadly sketched, dynamic lines of reddish paint evocative of nothing so much as 1950s Action Painting of the New York School.

Those underlying reddish lines are the architectonic basis for all of Wylie’s recent paintings. Through a peculiar, aleatory process of decisions, reactions, and intuitions he gradually layers elements and imagery, often turning his canvases around as he tackles the surface, sometimes wiping paint off to reveal glimpses of what had been. Images are recycled, and are often not what they seem. What might suggest a recent warzone or devastation might turn out to be the image of a 1960s Soviet-Modern building in Leipzig, or a dance hall from a psychiatric hospital in England, or a slice of urban blight from the outskirts of Paris.

This artist’s elaborate process suggests disegno, and his involvement with paint and color and gesture is obvious throughout: the play of white and varied tones of sepia in the peek-a-boo construct of Wall Vacuum; the astonishing beauty of a streak of paint the color of early-spring lilac in Cabin Fever; a sense of the artist’s nearly palpable desire to linger in paddle-strokes of pond-scum green in Submarine. Wylie seems indeed to be caught in a very personal – and very physical – struggle for equilibrium. “The central question,” Wylie said recently, “is what wins, the image or the paint? And for me it is always the paint.” Still, those images are sure giving him a run for his money... 

 

French translation : 

Duncan Wylie: jeu de massacre

Lorsque j’ai vu le travail de Duncan Wylie pour la première fois, en pièce jointe d’un e-mail, j’ai cru être face à de petites toiles figuratives aux surfaces lisses et hyper-réalistes avec ici et là des passages d’abstractions « picturales ». J’ai pris ce que j’ai cru être leur taille modeste et leur apparent détachement pour un choix stratégique, dont le but serait de mettre en exergue la violence extrême et réellement cataclysmique des sujets représentés : des bâtiments et d’autres structures architecturales dans différents environnements urbains et ruraux qui implosent, explosent, s’effondrent, glissent, se dispersent, ou sont balayés par des forces invisibles, éclatés, emportés par des pelleteuses ou encore se dressant au milieu des ruines. Bien que vidées de toute présence humaine, il s’agissait d’inexorables scènes de guerre ou de catastrophes naturelles : Beyrouth, Gaza, Katrina, "tsunami”... litanie contemporaine de noms devenus dernièrement synonymes d’enfer sur terre.

Une brève succession de noms d’artistes contemporains m’est également venue à l’esprit–une liste qui comprenait des maîtres de la représentation faussement distanciée tels que le Belge Luc Tuymans et Gerhard Richter, l’incontournable Allemand, dont les discours picturaux sur la réalité et l’abstraction ont considérablement aplani ces domaines. J’ai également noté que Duncan Wylie avait reçu différents prix de peinture ici en France et je me suis un peu inquiétée. Cela représentait une grosse artillerie thématique et institutionnelle : vue en direct, cette œuvre ne s’avérerait-elle pas juste un petit peu trop tendance, générique et peut-être trop sage1 ? Lorsque je suis finalement allée rendre visite à Wylie quelques semaines plus tard, tous mes a priori ont été bouleversés. Pour commencer, il y a les spécificités du lieu où il vit et travaille: à Saint-Ouen. C’est là que Wylie occupe deux duplex séparés, quasiment identiques, dans une construction conçue par l’ingénieur Gustave Eiffel! Et une large structure métallique, signature d’Eiffel, transperce violemment les deux petits espaces de l’artiste, telle une pelleteuse mécanique semblant crever l’espace et menacer sur une grande partie de son trajet les immeubles des peintures Gaza, Paris (Harare) ou Afterparty, deux des œuvres les plus anciennes faisant partie de cette exposition, peintes peu de temps après qu’il ait emménagé dans son logement actuel.
Quoi qu’il en soit, cette coïncidence pourtant significative, ne m’est
apparue que plus tard. Les toiles visibles dans l’atelier de Wylie lors de ma visite n’eurent dans un premier temps que peu de sens pour moi. Non seulement elles étaient vraiment grandes mais elles étaient également loin d’être terminées et semblaient, à l’état d’ébauche, n’avoir aucun lien avec les œuvres dont j’avais scruté les images sur mon écran. Chacune de ces peintures en cours était entièrement recouverte de grandes lignes de peinture rouge énergiquement tracées et très évocatrices de l’Action Painting de l’Ecole de New York de l’après-guerre.

Ces lignes rouges sous-jacentes sont la base architecturale de tous les tableaux récents de Wylie. Par un processus spécifique et aléatoire de décisions, de réactions et d’intuitions, il appose graduellement couche par couche des éléments et des images, retournant souvent ses toiles lorsqu’il retravaille leur surface, effaçant parfois de la peinture pour révéler un aperçu de ce qui a été. Les images sont recyclées et sont rarement ce qu’elles semblent être. Ce qui pourrait évoquer des lieux de guerre et de dévastation récents peut se révéler être en fait l’image d’un immeuble moderne de Leipzig datant de l’ère soviétique des années 60, la salle de danse d’un hôpital psychiatrique anglais ou encore un ensemble de taudis urbains des banlieues parisiennes.

Le processus créatif élaboré par l’artiste semble provenir du disegno. Son implication dans la peinture, la couleur et le geste est évidente : les nuances de blanc et de sépia dans la construction en forme de jeu de cache-cache de Wall Vacuum, la stupéfiante beauté d’un trait de lilas printanier dans Cabin Fever, un aperçu du désir presque palpable de l’artiste de s’attarder sur le vert algue semblant onduler sous un coup de pagaie dans Submarine. Wylie semble en effet lutter de manière extrêmement physique et personnelle pour trouver un équilibre. Récemment, Wylie a déclaré : « qu’est-ce qui gagne, l’image ou la peinture ? Pour moi, c’est toujours la peinture » dit-il. Quoi qu’il en soit, les images sont loin de s’avouer vaincues.

Lisa Liebmann

Traduit de l’anglais par Vincenza Mirisola

Afterparty, by Anne Malherbe, Hommes sans Histoires exhibition catalogue

Text by Anne Malherbe for exhibition catalogue Hommes sans Histoires, Musée des Arts Dernier Editions

Afterparty, 183 x 235cm, oil on canvas, 2006

Duncan WYLIE- Afterparty

La série Afterparty de Duncan Wylie tient presque de l’hallucination visuelle. Sur un ciel bleu extatique ou sur un fond désespérément blanc, un bulldozer entre en collision avec un bâtiment qui s’effondre dans un fracas de pierres et de poussière. Le contraste entre la violence de la scène et le fond absolument vierge sur lequel celle-ci est suspendue paraît irréel. Ces images ne sont pourtant pas de pures inventions, puisqu’elles prennent leur source dans la presse israélienne au moment du retrait de Gaza, où l’artiste s’est rendu, en août 2005. 

Mais ce sont aussi des images sans références chronologique ou géographique évidentes, sinon, peut-être, la lumière vive et le palmier emporté dans la démolition générale qui suggèrent un pays chaud. C’est que ces peintures ont au moins une autre fin, celle de parler, en des termes empruntés à une situation différente, du « nettoyage » qui a eu lieu en juin 2005 au Zimbabwe et sur lequel aucun document visuel n’a pu être publié. 

La superposition des lieux autorise à généraliser le propos d’« Afterparty », expression de ce que la violence possède à la fois de saisissant et d’insaisissable. De saisissant, parce que les toiles nous présentent des instants d’une rare intensité : celui où la pelleteuse jette à terre les tuiles du toit, celui où un bulldozer s’enfonce dans le mur, celui où le bras mécanique de l’engin fouille sous les combles de la maison. D’insaisissable, parce que la scène immobilise précisément ce moment où l’on ne sait plus ce qui est détruit (les maisons abattues sont méconnaissables) et où l’on ignore tout du futur de ces lieux. Elle tient en suspens une situation qui n’est déjà plus réelle ou ne l’est pas encore.

C’est dans cet intervalle que s’insère la peinture, intervalle auquel celle-ci apporte son supplément de réalité : les fortes diagonales qui s’entrechoquent ; la maîtrise de la couleur, tantôt intense et électrique, tantôt floutée ; la présence paradoxale du fond, qui illumine vivement la scène mais la fait aussi ressentir comme déplacée, et qui parfois, entièrement blanc, tend à l’engloutir. 

La peinture arrête et transforme cet entre-deux chronologique. Le squelette de l’immeuble dépecé se liquéfie en filaments de couleurs, la terre soulevée se fige en éclats de pâte, la poussière est d’une blancheur phosphorescente. D’autres possibilités que celles que l’histoire a choisies sont encore ouvertes. « Afterparty » reste un épisode à inventer. 

Anne MALHERBE